Fonction publique : les compétences du handicap négligées?

La loi permet de recruter non plus sur diplômes mais sur compétences. Une aubaine pour des travailleurs handicapés parfois sous-diplômés. Si le privé s'est saisi de cette opportunité, la Fonction publique fait blocage. Pourquoi ?

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Comment recruter un travailleur en situation de handicap qui n'a pas de diplôme mais manifestement les capacités et le potentiel ? Une réponse à ce dilemme se trouve dans la loi n°2018-771 pour la Liberté de choisir son avenir professionnel ; en consolidant la notion de « blocs de compétences », elle vise à « valoriser un certain nombre d'acquis spécifiques d'une formation » à des fins de certification. Par exemple : « usages du numérique, expression écrite et orale, exploitations de données… » A ne pas confondre avec les VAE (validation des acquis de l'expérience). Dans le privé, certaines entreprises, par exemple EDF, Airbus ou Carrefour, ont saisi cette opportunité. Mais, pour la Fonction publique, elle demeure « interdite ».

L'option contrats ad hoc

Dans le public, depuis 1995, il existe un dispositif spécialement dédié au recrutement de travailleurs handicapés : le « contrat ad hoc ». Il est fait référence, pour les catégories C, à défaut de diplômes, à un « niveau de connaissance et de compétence examiné sur dossier après avis d'une commission », contrairement aux catégories A et B qui doivent justifier des diplômes ou du niveau d'études des candidats aux concours externes. En 2019, les sénateurs Di Folco et Marie, dans le cadre de leur rapport sur le handicap dans la Fonction publique, préconisaient d'y « recourir davantage ». « Cette procédure est à dynamiser car les employeurs publics la méconnaissent et l'utilisent donc peu mais, en effet, à aucun moment il ne mentionne le terme spécifique de 'blocs de compétences' », confirme Françoise Descamps-Crosnier, présidente du Fiphfp (fonds dédié à l'emploi des personnes handicapées dans le public). Dans ce contexte, le contrat ad hoc a fait son temps, ne répond plus à la conjoncture et aux ambitions actuelles et mérite donc d'être largement rénové. Le hic, c'est que les décrets d'application des trois Fonctions publiques (d'Etat (n°95-979), hospitalière (n°97-185) et territoriale (n°96-1087)) relatifs à ce type de contrat n'ont pas été remis à jour depuis 2006 ou 2017 et ne permettent donc pas de bénéficier de la souplesse qu'offre la loi de 2018.

Le 5 mai 2020, le clou est enfoncé un peu plus profond via un nouveau décret offrant aux apprentis en situation de handicap la possibilité d'être titularisés dans la Fonction publique (article en lien ci-dessous) mais, encore une fois, en présentant une « copie des titres et diplômes détenus » et toujours pas leurs « blocs de compétences ». « On reste donc dans le schéma habituel Fonction publique », poursuit la présidente du Fiphfp. Le frein législatif maintient le blocage…

Les voyants au vert

D'où vient cette réticence ? L'inertie d'une grosse machine ou une volonté délibérée ? Tous les voyants de la « compétence » sont pourtant au vert… Depuis 2013 et l'entrée de la GPEEC (gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences) dans la Fonction publique, l'approche uniquement par compétences peut enfin être envisagée lors du recrutement ; ouverte à tous, elle s'avère particulièrement favorable pour la population de travailleurs handicapés souvent sous-diplômée. Outil de cette GPEEC, le Référentiel interministériel des métiers de l'Etat (RIME) permet à son tour de rédiger des fiches pour des postes de la Fonction publique non plus avec comme point d'entrée un diplôme mais des compétences assorties chacune d'un niveau en quatre graduations (sensibilisation, acquis, maîtrise, expert...). Par ailleurs, en 2019, le Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique précise que « l'insertion par l'activité économique se distingue par sa capacité à proposer une autre façon de créer de la valeur en partant du potentiel de chacun ».  

Comment évaluer des compétences ?

Concrètement, comment les compétences sont-elles évaluées pour une personne qui, ne possédant aucun diplôme, est intéressée par un emploi ? Après avoir défini les qualités requises pour le poste disponible, le sourcing peut se faire via Pôle emploi ou un cabinet, qui soumettent un ou plusieurs candidats au recruteur. Ce dernier décide de miser sur tel ou tel profil et lui propose alors une montée en compétences. Il ne s'agit donc pas d'un « recrutement sec » mais bien d'une formation. Dans ce contexte, créée le 1er janvier 2019, l'agence nationale France compétences a pour mission d'assurer le financement, la régulation, le contrôle et l'évaluation du système de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Elle a découpé le monde professionnel en treize segments et, dans chacun d'eux, ont été désignés des organismes appelés « opérateurs de compétences » qui accompagnent les branches dans la construction des certifications professionnelles. En accord avec l'entreprise, ils définissent les domaines à approfondir.

Durant cette phase, tant qu'il n'est pas recruté, le candidat peut être considéré comme stagiaire, apprenti, mais aussi en sous-traitance ou encore couplé avec un emploi accompagné. Ce dispositif étant « neuf », rien ne semble véritablement figé. Cette solution a été pensée principalement pour les travailleurs d'Esat (établissements et services d'aide par le travail) et d'EA (entreprise adaptée). La durée de formation varie, et est estimée en amont selon le profil de chacun. Certains contrats peuvent s'étendre sur deux ans.

Concrètement, ça veut dire quoi ?

Un exemple concret ? Une société leader dans la vente de sushis a du mal à recruter des cuisiniers car cette spécialité est négligée dans leur cursus initial ; elle doit, par ailleurs, répondre à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés. Elle décide donc de passer un contrat de co-traitance à la fois avec une entreprise adaptée qui lui propose différents profils puis assure l'accompagnement de ses travailleurs et un organisme chargé de gérer la montée en compétences pédagogiques. L'entreprise sélectionne un panel de candidats qui montrent des appétences pour ce type de cuisine, à qui elle propose une formation de six semaines au sein d'une unité externe, spécifiquement développée pour elle. Certains n'ont pas été séduits par le poisson frais, d'autres n'avaient, finalement, pas les aptitudes requises mais la société a recruté ceux qui sont allés au bout du parcours. Ils n'ont aucun diplôme de cuisto mais bien une expertise « irremplaçable » dans l'art du maki et du sushi et désormais un emploi en milieu ordinaire.

Faire bouger les lignes

Alors que le concept commence à faire ses preuves dans le privé, comment convaincre le public de céder à la tentation ? Pour tenter de faire bouger les lignes, mi-mars 2020, le Défenseur des droits a été interpellé, ainsi que les sénateurs Di Folco et Marie, mais également le secrétariat d'Etat au Handicap. Ce dernier assurait, fin 2019, que l'une de ses trois ambitions était de « faire changer le regard sur les personnes en situation de handicap en augmentant leur niveau de qualification, en développant leurs compétences et en poursuivant le travail de sensibilisation des employeurs privés… et publics ! » Pas d'autres réponses à ce jour... La commission emploi du Cncph (Conseil national consultatif des personnes handicapées) s'est, à son tour, saisie de ce dossier. A suivre …

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr.Toutes les informations reproduites sur cette page sont protégées par des droits de propriété intellectuelle détenus par Handicap.fr. Par conséquent, aucune de ces informations ne peut être reproduite, sans accord. Cet article a été rédigé par Emmanuelle Dal'Secco, journaliste Handicap.fr"
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