Philippe Bouchard : "Mon métier m'apprend la résilience"

Responsable de la politique handicap du groupe Randstad en France, Philippe Bouchard estime son métier aussi enrichissant que frustrant. Sans discours alarmiste, il évoque la situation des personnes handicapées dans l'emploi. Entretien.

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Handicap.fr : Depuis combien de temps êtes-vous chez Randstad ? Que représentait le handicap pour vous avant d'occuper ce poste ?
Philippe Bouchard : Je m'occupe de la mission handicap du groupe depuis 2012. Il y en avait déjà une avant mais je l'ai officialisée. Au départ, j'ai été intégré à la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) de l'entreprise, en 2008. J'ai fait connaissance avec le handicap, au début de ma carrière, en tant que responsable recrutement régional. À cette occasion, je rencontrais des associations dans le but d'intégrer les personnes en situation de handicap dans le milieu ordinaire. À l'époque, je ne savais rien du handicap, je ne sais pas vraiment ce qui m'y a amené.

H.fr : Pourquoi avoir décidé d'occuper cet emploi ?
P.B : Sûrement une question de valeur. Dans ma famille, on est tous un peu « là-dedans », mon frère est infirmier par exemple. J'ai trouvé dans ce métier de réelles valeurs humaines, l'occasion de travailler contre certaines injustices. Il faut garder à l'esprit que, malgré toute cette fragilité que l'on côtoie, on peut nous-même être touchés par un handicap demain, tout comme nos proches ou nos collègues. Ne pas regarder ce sujet, travailler dessus ou seulement le prendre en compte, ce n'est rien que du déni.

H.fr : Aller vers plus d'égalité, encourager la sensibilisation, c'est ce qui vous « booste » ?
P.B : C'est aussi la qualité des échanges. On peut faire des rencontres formidables avec des gens capables d'impulser de réelles actions. Il y a beaucoup d'énergie positive dans le milieu du handicap, même s'il y a aussi une parole assez sombre. Mais, sur des sujets de pointe, on est vraiment sur de la RH (ressources humaines). La tendance est à la globalisation mais, avec le handicap, on doit tout individualiser, au cas par cas. Rien ne se ressemble. Je travaille également sur certaines problématiques de société, comme le handicap psychique qui est un gros tabou et sur lequel je mène des actions avec des associations, dont le Clubhouse France. Je pense aussi aux maladies invalidantes et au cancer. Sur ces sujets, il y a encore un gros travail social, intellectuel, de remise en question et de pragmatisme à effectuer. C'est la diversité des choses à faire qui me donne envie de rester.

H.fr : Que vous apprend votre travail ? Le trouvez-vous difficile (en termes de sensibilisation, d'objectifs, de communication…) ?
P.B : C'est un métier frustrant mais qui m'apprend à être résilient et modeste. À lâcher prise puis à repartir. Il m'apporte aussi une bonne capacité de remise en question, notamment vis-à-vis de tous les tracas de la vie. Ce travail me fait relativiser sur l'humain, sur les problématiques des autres et peut être même sur moi-même. Il permet une certaine prise de recul. On est tous un peu cabossés, avec, chacun, notre part de fragilité. S'y confronter permet de relativiser. J'ai aussi une devise dans ce métier : « On se bat pour les gens, avec les gens et contre les gens ».  Souvent, on se heurte à des situations de refus pour de nombreuses raisons, parfois légitimes (économiques, organisationnelles) alors qu'il s'agit d'un sujet politiquement correct et consensuel. Mais je trouve que les choses évoluent positivement.

H.fr : Rechercher un emploi ou travailler avec un handicap sera-t-il plus simple dans cinq, dix ans ?
P.B : Je ne suis pas devin mais, en tout cas, je l'espère. Aujourd'hui, j'ai la perception qu'il y a plus d'intégration possible grâce à la nouvelle génération qui arrive. Nous avons beaucoup avancé avec les lois handicap de 1987 et 2005 mais il y a encore du chemin.

H.fr : Quels enjeux, justement, faudra-t-il prendre en compte pour faire avancer les choses ?
P.B : On ne peut pas séparer l'insertion professionnelle de la réalité économique du pays ou de l'entreprise. Si on veut réussir, il faut mener des actions globales, d'autres peut-être plus philosophiques et pragmatiques. Tout le monde doit se remettre en question dans cette politique et pas uniquement penser que l'entreprise est le seul vecteur de ce qui pourrait être négatif. Beaucoup d'entreprises font des efforts. J'ai parfois l'impression de voir deux mondes qui ne se comprennent pas.

H.fr : Quel est l'intérêt, pour les entreprises, de recruter via un salon en ligne tel que Hello Handicap, dédié à l'emploi des personnes handicapées ?
P.B : Les forums physiques ne sont plus les lieux adaptés à nos moyens de recrutements actuels. Il est important, aujourd'hui, de s'adapter aux nouvelles technologies. Un salon comme Hello Handicap prend le virage technologique qui va dans ce sens. On doit aujourd'hui être en capacité de recruter sur tout le territoire grâce à des moyens dématérialisés ; cela n'empêche pas la prise en compte de la singularité de chacun puis la prise de contact physique par la suite. Plus généralement, je pense que le digital peut être très favorable dans le cas de certains handicaps, notamment sensoriels. Dans l'emploi, de nouveaux outils ont permis à des personnes aveugles d'accéder au travail.

H.fr : Pensez-vous continuer à travailler pour une mission handicap encore longtemps ?
P.B : Le métier est usant ; je ne sais pas combien de temps je continuerai mais je resterai dans le domaine de la RSE et du handicap car il y a encore beaucoup à faire. Mais je ne suis pas un chevalier blanc : mon côté industriel et pragmatique me ramène souvent sur terre ! Je verrai au fil de l'eau, en fonction de ce qui s'ouvre ou non à moi et en fonction de ma santé.

H.fr : Comment votre entourage perçoit-il ce que vous faites ?
P.B : Mes enfants ne comprennent pas vraiment ce que je fais ! Ils voient ça de leurs yeux d'ados et pensent que je suis une sorte d'infirmier. Ce n'est pas facile pour des adolescents ou jeunes adultes, qui ne connaissent pas encore le milieu de l'entreprise et la notion de vie en société, de percevoir ce qu'est le maintien dans l'emploi par exemple. Ça leur paraît parfois ubuesque. Mon fils avait du mal à décrire aux autres enfants ce que je faisais, ce qui s'explique, ironiquement, soit par le fait que je ne fais pas quelque chose de normal, soit que mon travail ne devrait pas exister !

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Aimée Le Goff, journaliste Handicap.fr"
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